Le « Van Gölü Feribotu » (ou ferry du Lac de Van) est un bateau peu ordinaire. Il circule entre les villes de Van et de Tatvan (sur les rives Est et Ouest du Lac de Van respectivement) et faisait autrefois partie intégrante de la ligne ferroviaire internationale reliant Istanbul et Ankara à Téhéran car le train était chargé sur le ferry. Aujourd’hui, ses horaires sont aléatoires et ne dépendent plus que des éventuelles marchandises à transporter. Arriver à embarquer sur le ferry du Lac de Van n’est donc pas une mince affaire… mais le jeu en vaut la chandelle ! Dans cet article, je vous relate cette expérience de navigation hors-norme que j’attendais depuis des années.
Le « Van Gölü Feribotu » (ou ferry du Lac de Van) circule entre les villes de Van et de Tatvan, sur les rives Est et Ouest du Lac de Van respectivement.
Jadis, cette liaison de ferry faisait partie de la ligne ferroviaire internationale reliant Istanbul et Ankara à Tabriz puis Téhéran. Le train était chargé sur un ferry pour passer d’une rive à l’autre (voyez les rails sur la photo ci-dessous). Une fois débarqué, il poursuivait sa route.

Au moment du Covid, la ligne a été suspendue. Puis lorsque le trafic ferroviaire a repris, ce fut néanmoins en sacrifiant le caractère international de la ligne (qui n’avait plus vraiment de sens avec toutes les restrictions de voyage que l’on a connues post-covid). Dans ces conditions, les chemins de fer turcs ont maintenu une liaison Ankara-Tatvan (sur ce voyage avec le mythique Van Golu Express, vous pouvez lire mon article), mais la suite du périple jusqu’à la frontière a été supprimée et le train a cessé sa navigation. Du côté iranien aussi, les trains ont cessé de passer la frontière.
Ces nouvelles circonstances n’ont cependant pas empêché le ferry (Feribot) de continuer ses allers-retours entre Tatvan et Van. Simplement, ses horaires ne sont plus calés sur ceux du train. Et même davantage : ses horaires ne sont pas fixes du tout ! Ils dépendent des besoins du moment et sont fonction des marchandises ou engins (tractopelles, déneigeuses etc.) à transporter d’une rive à l’autre. lI faut donc un peu de chance ou un peu de patience pour arriver à monter dessus… C’est ce qui fait tout son charme !
[A noter que les liaisons entre la Turquie et l’Iran ont repris en mars 2025 mais à partir de Van, sur la rive Est du lac. La ligne ferroviaire n’est donc pas continue et le train n’embarque plus sur le ferry… en tout cas pour le moment ! mais qui sait ? A l’avenir peut-être.)]
Récit de voyage : 5 heures à bord du Van Gölü Feribotu (Ferry du Lac de Van)
De la gare de Tatvan à l’embarcadère
[Comme le savent ceux qui me suivent assidument, ma traversée du lac de Van prend la suite d’un périple déjà bien long en train. Dans cet article précédent, vous pouvez consulter le récit de mon épopée ferroviaire d’Ankara à Tatvan]
La deuxième partie de mon aventure débute donc en gare de Tatvan, à peine descendue du train, en début d’après-midi.

Il me faut comprendre comment rejoindre l’embarcadère à partir de la gare. Je questionne le personnel, d’abord, puis un vieil homme qui marche sur le parvis en égrainant son chapelet de prière [apparemment, j’ai bel et bien le TOC de poser la même question à deux ou trois personnes différentes… « pour être sûre » 🙂 ]. On m’indique bien aimablement de me rendre à la station-service proche du centre commercial pour pouvoir attraper le dolmuş (mini-bus) qui mène à l’embarcadère. Je marche gaiement dans cette direction. Le soleil brille bien haut dans le ciel et les rues sont encore bordées de neige, même si elle commence à fondre.
Arrivée au lieu indiqué, je m’enquiers de trouver le bus adéquat. Un passant me conduit au bon endroit et attend patiemment avec moi que le dolmuş en question approche, avant de me mettre dedans en me souhaitant un bon voyage. Quelques minutes plus tard, me voilà devant l’embarcadère.
Je me présente au poste de contrôle. Les deux gardes à l’entrée m’accueillent manifestement étonnés et amusés qu’une jeune femme étrangère en sac à dos vienne prendre le ferry en plein hiver ! Ils sont néanmoins fort courtois et me laissent attendre au chaud le temps que la machine à rayons-X se mette en route pour pouvoir scanner mes affaires. Dans l’intervalle, nous entreprenons une conversation – laborieuse, mais finalement très joviale. C’est le ramadan, mais on me propose un petit thé. L’un des agents part faire sa prière, car c’est l’heure, tandis que l’autre m’explique que, lui, il ne jeûne pas et que le thé, ça fait du bien !
Une petite demi-heure plus tard, une fois les vérifications d’usage faites, je longe le quai en direction du bateau. Il est monumental. Les rails qui plongent dans la gueule du navire m’impressionnent beaucoup.


Un vieux loup de mer à la lèvre tordue me regarde perplexe. Je lui explique mon intention de monter à bord. Il n’a pas l’air fort convaincu par la démarche mais soit ! « Monte là-haut » m’indique-t-il.
Du haut du pont, je découvre les reliefs derrière la ville et sur les berges alentours. Ils sont encore enneigés et les couleurs sont superbes. J’observe également les manipulations du chargement : deux pelleteuses, une benne, un chasse-neige, quelques camionnettes…

Petite frayeur au démarrage
Je décide alors de déposer mes affaires à l’intérieur. Je découvre une salle immense. Elle est absolument vide, hormis 3 hommes assis sur une banquette. L’un d’entre eux me demande ce que je fais là et si je suis seule : « pas de voiture ? pas d’ami ? juste vous ? » – Juste moi. Il me met un peu mal à l’aise mais je décide de ne pas y prêter davantage attention.
Je retourne sur le pont prendre quelque photos. Le départ se fait attendre, nous avons déjà presque 30 minutes de retard.
Je m’inquiète de ce délai : partira-t-on ? Mais surtout, je constate qu’il n’y a pas une seule femme sur ce bateau. Tout à coup, la perspective d’être bloquée 5h sur un bateau avec 15 vieux loups de mer me donne un peu les chocottes. Est-ce vraiment une bonne idée ?
De toutes façon il est trop tard car le ferry du Lac de Van se met mouvement ! Nous partons à l’aventure ! Il est environ 16h30.

La magie des paysages du Lac de Van
Mon angoisse est rapidement remplacée par mon émerveillement. Les paysages sont spectaculaires et la lumière du soir les rend magiques. Je passe un long moment sur le pont à prendre des photos.

Entre deux prises de vue, je comprends que l’homme qui m’avait posé quelques questions est en fait le chef d’équipage, en charge de facturer les clients. Arrivé à mon niveau, il m’explique quelque chose que je ne saisis pas (qu’il n’a plus de papier ? de stylo ? il lui manque quelque chose, mais quoi ?). Toujours est-il qu’il me fera gentiment grâce du paiement.
Alors que j’en suis toute à ma reconnaissance, arrive progressivement le coucher du soleil. Le ciel devient rose et violacé ; le disque rouge se couche derrière les montagnes. Et avec l’obscurité, l’air se rafraichit sérieusement.



L’hospitalité de l’équipage du ferry
Avec la nuit et le froid, je décide de m’installer à l’intérieur. J’ai sacrément faim. Dans mon enthousiasme et ma précipitation vers l’embarcadère, j’ai oublié de me ravitailler. Il me reste très peu d’eau, quelques pois chiches grillés et quelques caramels. Pas folichon.
Je grignote mes vivres comme une âme en peine sur ma banquette. C’est alors que le capitaine s’approche. Il me fait signe de venir et de le suivre. Je n’en mène pas large. Il me fait monter par un escalier étroit qui monte vers le pont supérieur. L’angoisse doit se lire sur mon visage car il me dit « mais n’aie pas peur !« . Inutile de dire que ça ne me rassure pas beaucoup. Arrivée en haut, je me retrouve nez à nez avec dix paires d’yeux. C’est la salle de repos de l’équipage et on y est noyé dans un nuage de fumée de cigarette. On me fait asseoir à une table et le cuistot me dépose une assiette sous le nez. Puis une deuxième. Et un bol de soupe, du pain, de l’eau, du thé, mais aussi des fruits.
Avec toute la gentillesse du monde, l’équipage me propose de diner. Adorable.

Cela dit, avec toute la méfiance de ma culture occidentale, l’idée qu’il y a peut-être de la drogue dans la nourriture me traverse l’esprit. J’ai un temps d’hésitation. Mais je me rappelle que le contexte local est bien différent du nôtre et je regrette d’avoir pensé à mal. J’attaque donc mon repas. Une fois englouti, je remercie infiniment le capitaine, puis je m’échappe à toute vitesse car je reste tout de même assez mal à l’aise dans cette situation.
Dehors il fait nuit noire. Le ferry du Lac de Van poursuit toujours son chemin. On aperçoit la rive qui scintille et qui approche.
En voiture Simone !
Vers 21h30, nous arrivons à destination.

Juste avant d’accoster, le capitaine revient me voir. L’un des passagers a une voiture ; il m’amènera en centre-ville car il est tard. Le passager concerné n’a pas l’air ravi de l’idée, mais c’est l’ordre du capitaine, pas de discussion.
Le bateau se cale contre le quai, méticuleusement malgré sa masse. On serre les amarres et on commence à débarquer. On m’indique une voiture. C’est presque une voiture de collection, du style des vieilles Peugeot des années 60, assez allongée avec le toit très bas. Je m’y installe, écrasée sous le poids de mon sac à dos. A l’intérieur, un drapeau est tendu sur le plafond et des décorations à franges avec des tas de breloques font tout le tour de l’habitacle. Péniblement, l’engin se met en branle et le conducteur, son ami et moi-même nous échappons vers le centre-ville.
Sur le trajet, je regrette de ne pas avoir eu la possibilité de remercier le capitaine avant de m’en aller. Tout est allé si vite. Une quinzaine de minutes plus tard, j’indique à mes chauffeurs improvisés que ma destination est proche, qu’ils peuvent me déposer là et que je finirai à pied. Après avoir pris congé, je parcours les derniers mètres qui me séparent de mon hébergement, dans la nuit animée des soirées du mois de ramadan.
Quelle aventure !
Détails pratiques concernant le Van Gölü Feribotu (Ferry du Lac de Van)
Prix du Van Gölü Feribotu (Ferry du Lac de Van)
Le trajet coûte à ce jour 83 TL (c’est à dire environ 2 euros) par passager piéton, à payer directement au capitaine.
Horaires du Van Gölü Feribotu (Ferry du Lac de Van)
Comme exposé plus haut, les horaires du ferry ne sont pas fixes. Sur internet, avant mon voyage, j’ai pu lire un peu tout et n’importe quoi sur les heures « probables » de départ (notamment que le ferry partirait de Tatvan plutôt le matin et de Van plutôt l’après-midi, etc.). Ne vous y fiez pas, ce n’est absolument pas fiable. La seule chose à faire est d’appeler le terminal (Feribot Iskelesi) au numéro suivant : (+90) 0434 827 80 40.
A savoir que votre interlocuteur ne parlera très probablement pas anglais. Il vous faudra donc gérer la conversation en turc 🙂 Pas de panique ! Pour cela, vous pouvez vous faire aider par un local qui passera l’appel pour vous, par exemple. Autrement, même avec un turc très très rudimentaire, vous pouvez vous en tirer avec un peu de préparation (c’est ce que j’ai fait). Avant d’appeler, familiarisez vous avec les chiffres de 1 à 12 + öğlen (midi) ainsi que les mots aujourd’hui (bugün), demain (yarın) et éventuellement les jours de la semaine. Préparez ensuite les quelques phrases ci-dessous (notez-les bien sur un papier devant vous pour les avoir tous les yeux tout au long de la conversation et entrainez-vous un peu avant d’appeler). Voici en gros comment la conversation va se passer :
Votre interlocuteur va décrocher en disant : « Alyo (et peut-être préciser « Feribot iskelesi » blabla).
Là c’est à vous : « Merhaba (= bonjour). Tatvan’dan Van’a gitmek istiyorum (= je veux aller de Tatvan à Van). Feribot ne zaman kalkıyor ? (= quand part le ferry) ». Ou l’inverse : Van’dan Tatvan’a gitmek istiyorum, si vous voulez allez de Van à Tatvan. Dites uniquement ces phrases : elles sont simples, directes et claires.
Votre interlocuteur vous répondra sûrement avec une phrase fluide et longue dont vous ne comprendrez absolument pas les subtilités. Peu importe. C’est là où il faut vous concentrer pour détecter simplement les mots que vous connaissez et qui sont pertinents. Par exemple bugün (aujourd’hui), yarın (demain), perşembe (jeudi) etc. ainsi que les chiffres, comme dört (4), dokuz (9), öğlen (midi), etc.
Mettons que vous avez compris bugün et dört, répétez simplement ces deux mots à votre interlocuteur avec un ton interrogatif, pour qu’il vous les confirme. S’il dit « evet » c’est bon, bravo, vous avez bien compris. S’il dit « hayır » et reprend son blabla, rebelotte, concentrez-vous pour saisir les quelques mots-clés pertinents et redemandez confirmation de la même manière. Avant de conclure, vérifiez bien le sens de la liaison en disant « Tatvan’dan Van’a » (de Tatvan à Van) ou « Van’dan Tatvan’a » (de Van à Tatvan), selon votre direction, encore une fois avec un ton interrogatif, histoire d’être bien sûr. Et voilà c’est bon.
Prenez congés avec : Tamam (= d’accord). çok teşekkürler (= merci beaucoup). C’est minimaliste mais ça suffira à ce stade, vous aurez déjà bien bossé. Voilà le tour est joué !
Depuis et vers les embarcadères de Van et Tatvan
Entre l’embarcadère de Tatvan et le centre-ville de Tatvan
Il y a un dolmuş (mini-bus) qui fait la liaison entre l’embarcadère et le centre-ville. En ville, il s’attrape au niveau de la station service de la Cumhuriyet Caddesi (à côté du centre commercial Adabağ AVM). Cela coûte 17 ou 18 TL (donc environ 40-50 centimes d’euros). Si vous ne le trouvez pas ou le ratez ou que les horaires sont tardifs etc., l’embarcadère est à une distance raisonnable du centre-ville, faisable à pied (environ 40 minutes).
Entre l’embarcadère de Van et le centre-ville de Van
Il y a également un dolmuş (mini-bus) qui fait la liaison entre l’embarcadère et le centre-ville de Van. Cela étant dit, si vous arrivez tard à Van, comme c’était mon cas (vers 21h bien tapées), il est fort possible qu’il n’y ait plus de mini-bus ou en tout cas moins fréquemment. Arrangez-vous pour que l’un des passagers ou membres d’équipage qui a un moyen de locomotion chargé sur le ferry puisse vous approcher du centre-ville car l’embarcadère est assez excentré. La distance est conséquente à pied (environ 9-10km), a fortiori de nuit et chargé. Autrement, anticipez et réservez un taxi.
Ravitaillement à bord du ferry
Ne vous attendez pas à l’offre snacking des ferries stambouliotes ! Il y a si peu de passagers humains sur ce ferry qu’il n’y a pas d’espace restauration/bar. Prévoyez de l’eau et de la nourriture pour la durée du voyage (4-5h).
J’espère que ce récit et ces informations seront utiles à quelqu’un un jour car cette traversée du Lac vaut vraiment la peine ! Pour toute question (ou suggestion), n’hésite pas à me l’adresser en commentaire ou via le formulaire de contact. J’y répondrai avec plaisir !
>>>>> Si cet article t’a plu, n’hésite pas à le partager avec tes amis qui pourraient être intéressés !
Et si vous voulez en savoir davantage…
- Sur le Lac de Van et sa région, c’est par ici
- Sur mon voyage d’Ankara au Lac de Van (Tatvan) en train, c’est par là
- Sur mes autres voyages improbablement longs en bus ou en train, rendez-vous ici (bientôt disponible)